Primeurs : des vins et des étoiles

A l’occasion des Primeurs 2023, retour sur ce moment très attendu dans les châteaux bordelais et découverte gourmande du Grand Cru classé La Dominique à Saint Emilion. Déjeuner étoilé et décryptage du millésime par le cabinet Rolland à la clef.

C’est un des temps forts de l’année à Bordeaux : les Primeurs. Ce moment où le millésime de l’année précédente se dévoile au monde (celui du vin), laisse entrevoir ses qualités, avant de poursuivre son élevage dans le secret des chais. Inspiré du XVIII^ème siècle quand les anglais achetaient en avant-première le Porto ou quand les négociants bordelais choisissaient la récolte sur pied, le principe des ventes en primeur à Bordeaux a été relancé et institutionnalisé dans les années 1970 par l’Union des Grands Crus de Bordeaux.
Aujourd’hui, ces Primeurs prennent désormais la forme d’une (folle) semaine, organisée fin avril, de dégustations professionnelles et de rencontres entre châteaux, partenaires, acheteurs, négociants, consultants et journalistes spécialisés. Une semaine à fort enjeu car c’est là que s’achètent, en primeur, les cuvées de l’année précédente, qui ne seront disponibles que près de 2 ans plus tard. Objectif : un meilleur prix pour les acheteurs et de la trésorerie pour les domaines qui ont leur production immobilisée du fait des longs élevages.

Des dégustations en série

Organisée cette année du 22 au 25 avril, la Semaine des Primeurs était comme toujours très attendue de la sphère vitivinicole et a connu un joli succès. Dégustations groupées à Bordeaux et dans les châteaux, accueils sur rendez-vous dans les propriétés, parfois jusqu’en mai, l’agenda était dense, propice aux échanges et à la découverte d’un millésime riche en surprises, climatiques notamment.

Au Château La Dominique, Grand Cru Classé de Saint Emilion, la dégustation des Primeurs a lieu dans le magnifique chai signé Jean Nouvel. On y découvrait le cru classé et le second vin de la propriété, mais aussi quelques 200 vins de domaines français et étrangers accompagnés par le cabinet Rolland & Associés, fondé en 1973 par Dany et Michel Rolland et présidé désormais par Julien Viaud, œnologue, qui conseille La Dominique.

A la clef, un voyage et de jolies découvertes de Saint-Emilion à Pomerol, Lussac, Fronsac mais aussi rive gauche, dans le sud-ouest et jusqu’en Argentine, Uruguay, Napa Valley en passant par l’Espagne, la Croatie ou l’Arménie…

Des Primeurs… aux Primeurs étoilés

Mais la particularité des Primeurs à La Dominique est qu’ils se marient à la gastronomie et s’ouvrent ainsi, le temps d’un repas, au public au cours de Primeurs Etoilés de haut vol. Le restaurant La Terrasse Rouge, juché sur le chai du château, accueille ainsi, sur 4 jours, 4 grands chefs qui signent chacun le plat du jour. Et quel plat ! Au menu de la semaine des Primeurs étoilés 2024 :
- un Carré de veau du Limousin, rouleau de céleri, ail des ours, jus goûteux par Gilles Dudogon, chef étoilé du Limousin
- une Royale de boudin noir, infusion passion café, purée de pommes de terre par Tristan le Squer, 3 étoiles au Georges V à Paris,

- une Volaille de la Ferme de Gruey à Pissos, souvenir de Pierrette, patatas bravas, crémeux de maïs au gingembre, croustillance peau ail et oignon par Michel Sarran, 1 étoile à Toulouse,
- et un Filet de pigeon de Mios, Ivre d’Armagnac du Domaine Boingnères, sauce au poivre vert et grenade, tartelette de duxelle, cuisses cuisinées de Stéphane Carrade, 2 étoiles au Skiff Club de l’hôtel Haaïtza sur le Bassin d’Arcachon.

La grande cuisine, alliance entre un grand plat et un grand vin

Sur sa royale de boudin noir joliment réveillé d’un jus passion café, Christian Le Squer se réjouit d’un accord parfait avec la complexité d’un grand cru La Dominique. Un cuisinier, un peu comme un parfumeur ou un œnologue, doit savoir assembler les saveurs, pour, parfois mettre du peps là où il en faut, notamment sur un plat de terroir comme le boudin au sang ou le canard. Ma cuisine est une cuisine qui va bien avec le vin et je travaille étroitement avec mon sommelier. Quand je crée un plat, on goûte et on cherche l’accord parfait. Il faut laisser de la place au vin car la grande cuisine résulte du mariage entre un grand plat et un grand vin.

Le client cherche un moment où le temps s’arrête, c’est cette alliance entre mets et vins qui crée un moment d’exception. Cette élégance fait partie de notre culture, de l’art de vivre et du patrimoine français. Et Bordeaux est indéniablement une grande région de grands vins qui tiennent leur place sur toutes les grandes tables étoilée. s’enthousiasme le chef parisien mais originaire de Bretagne qui, par sa cuisine iodée, est aussi un grand amateur de vin blanc.

Un chai en hommage à la vigne et au vin

Co-organisés par La Dominique et le laboratoire Rolland, les Primeurs Etoilés incarnent aussi un joli mariage entre business et convivialité, vin et gastronomie. A l’image de l’évolution de ce Grand Cru de Saint-Emilion, limitrophe de Pomerol et entouré de prestigieux voisins - La Conseillante, Evangile, Cheval Blanc, Figeac et Petrus à peine plus loin. Racheté en 1959 par la famille Fayat, le domaine, qui est conseillé par le laboratoire Rolland, a fait l’objet d’une restructuration réfléchie, avec un gros travail parcellaire et la construction d’un nouvel outil de production. Inauguré en 2014, le chai remarquable et alors remarqué, incarne un geste architectural et une démarche artistique : les lamelles d’inox qui le recouvrent sont teintées selon un dégradé de rouges qui symbolisent la vie et l’évolution du vin en bouteille.

Sur le toit-terrasse, une piscine de galets de 3 nuances de rouges représente un fouloir géant garni des baies des 3 cépages emblématiques de l’appellation. C’est sur ce même toit-terrasse que le bien nommé restaurant La Terrasse rouge, du groupe Faber-Lascombes, propose une carte gourmande et locavore avec une jolie sélection de vins au verre. Différentes visites, avec dégustation à l’aveugle ou accords vins et chocolat, complètent l’expérience La Dominique.

Premier aperçu sur un Saint Emilion Grand Cru 2023

Et côté vigne et vin ? Les vendanges 2023 auront été les plus précoces et les plus longues de l’histoire de La Dominique, au cours d’une année viticole 2023 marquée par les alternances climatiques : un hiver doux, le réveil précoce de la végétation, les risques de gelées début avril, un printemps chaud, un mildiou présent, un mois de juillet frais et sec…
A La Dominique, c’est un travail de précision qui est désormais opéré à la vigne comme au chai, grâce aux enseignements apportés par l’audit technique et la cartographie de vigueur du parcellaire réalisés récemment. Des vendanges rang par rang et en division sub-parcellaire ont donc permis de récolter des Merlot denses et soyeux et des Cabernets francs purs et tendus. En primeur, le 2023 a dévoile une belle aromatique et un bel équilibre : nez cacaoté, bouche vanillée et même un peu de toffee sur le Grand Cru qui compte 5 mois de barrique (14-16 mois en fût au total) tandis que le second vin Relais La Dominique est déjà très souple et fondu. Une jolie complexité qui ne se révèlera véritablement que dans presque 2 ans.

Le millésime 2023 analysé par le cabinet Rolland

L’année de tous les dangers ? En tout cas de toutes les variabilités. Si la grande diversité du Bordelais est connue, ce sont aussi les différences de stratégies et de structures, en termes de ressources techniques, financières, humaines, qui ont engendré des conséquences très variables selon les propriétés notamment au regard du mildiou et du black-rot, très présents en 2023. Les vendanges très étalées, entre chaleur de fin d’été et épisodes pluvieux, ont permis de récolter en optimisant les maturités, grâce au découpage intra-parcelles et aux tries successives.
2023 restera donc comme un millésime qui met en exergue l’intérêt de travailler de façon très ciblée pour récolter à pleine et juste maturité. Il en résulte des blancs élégants, digestes et gourmands, avec des Sauvignons pleins d’éclat et de fruits jaunes et exotiques et des Sémillons qui apportent l’enveloppe charnelle. Les rouges sont équilibrés, sans excès ni opulence, avec une grande variabilité et complémentarité entre les raisins, inter-cépages, inter-parcelles : les assemblages devraient être passionnants et pointilleux…

En couverture : vue depuis le Château La Dominique - Crédit photo : Emma Tournier