Interview de chef : Joris Larigaldie, le mariage de la France et du Québec

Interview de chef : Joris Larigaldie, le mariage de la France et du Québec

Joris Larigaldie, actuel chef exécutif du W, à Montréal, est définitivement un artiste chef, qui s’exprime autant dans sa cuisine que par l’écriture, la peinture et la musique. Sa vie entière est une œuvre d’art, qu’il compose comme une symphonie. Ses assiettes sont un canevas et les couleurs et saveurs du monde, et plus spécialement de la France et que Québec, sont ses palettes.

Une vocation

Eclectique, passionné, doté d’un cerveau capable de produire une dizaine d’idées à la minute, Joris est tombé assez jeune dans la marmite de la cuisine, qu’il a d’abord délaissée avant de plonger dedans avec une passion et un investissement absolu.

Avec le recul, Joris avoue que malgré ses réticences initiales (dues au fait que sa mère tenait un restaurant et que les contraintes du métier ne l’emballaient guère….), c’était impossible qu’il fasse autre chose de sa vie. Le virus de la cuisine était là, depuis fort longtemps. Il n’y avait pas un week-end familial sans de nombreux invités autour de la table, et mon père m’a transmis ses gènes épicuriens, notamment avec une culture familiale à base de petites phrases qui m’ont construit. Il lui arrivait de dire qu’on ne peut pas être un vrai Larigaldie si on ne sait pas lever une sole….

L’émotion guide son travail et sa vie, et c’est aussi et surtout grâce à celles qu’il a éprouvé lors de dîners chez de grands chefs qu’il se décide à finalement embrasser une carrière de chef.

Dix ans après, il est capable de citer exactement les plats qui l’ont ému aux larmes, comme le filet de flétan accompagné de courgettes glacées au court-bouillon de poulet d’Alain Roux (au Waterside Inn), ou encore le foie gras poêlé, purée de panais et réduction de canard à la cardamome et raisin blancs d’Alain Ducasse au Plaza Athénée.

Même ligne côté vin, où ce sont les émotions qui ont d’abord façonné sa connaissance, notamment celles éprouvées avec un Bandol rouge du Domaine Ott (il confesse avoir été surpris qu’un Bandol rouge puisse être aussi bon !), ou encore avec l’accord entre un vin jaune et plusieurs Comté aux affinages différents. Et quand j’étais dans les Alpes, le duo Gamay de Savoie et Abondance au petit déjeuner, c’était le fun !.

Et parce que la soif de découvertes et de voyages l’étreignait depuis déjà longtemps, la cuisine se révéla être le parfait métier pour nourrir son âme d’artiste autant que d’aventurier.
Les stages, formations et expériences professionnelles dans les grandes maisons étoilées démarrent, et émailleront toute sa carrière, afin de s’améliorer encore et toujours un peu plus.
Il trouve son graal, son Icare, au Geranium à Copenhague, où le chef Rasmus Kofoed l’inspire, à la fois par la perfection qui règne sur l’ensemble du restaurant, que par l’engagement du chef à tendre sans cesse vers le meilleur.

Une identité forte et résolument poly-artistique

Puis la vie l’emporte de l’autre côté de l’Atlantique, et c’est au Manoir Hovey, Relais et Château au Québec, que l’identité de Joris en tant qu’artiste-chef s’exprimera pleinement. Sous-chef de 2014 à 2016, il s’inspirera de cette nouvelle nature et des nouveaux produits qu’il découvre en ces terres boréales pour composer de nouvelles symphonies culinaires, qu’il décidera de marier avec la musique classique lors d’un récital gastronomique le temps d’un souper (l’équivalent du dîner au Québec).

Partant du principe que chaque note équivaut à une saveur , Joris établit une liste de 150 ingrédients, qu’il échelonne en fonction de son équivalence en notes de musique, du plus aigu au plus grave. Puis il élabore son menu en prenant les partitions de Mozart et Schubert transmises par le trio de cordes de l’Orchestre symphonique de Montréal.

Le parallèle entre la cuisine et la musique est évident pour lui : L’idée est née lors d’un concert de musique classique en Allemagne. Ce qui m’a d’abord sauté aux yeux, c’est l’organisation des professionnels que je voyais devant moi. Au-delà de la musique, je reconnaissais des stations distinctes avec des buts différents et réfléchis. Dans chaque section, comme en cuisine, il y a une hiérarchie. Un chef de partie en équivalence avec un premier violon etc. Au-dessus, un chef de cuisine qui donne le rythme et qui s’assure de la note juste, le chef d’orchestre. Et l’acidité, la douceur, les tons graves ou aigus : ces caractéristiques peuvent décrire à la fois des notes et des aliments. Les notes de saveur et les notes musicales se mélangent harmonieusement pour créer une belle symphonie.
Soutenu par le chef Francis Wolf, auprès de qui il a également beaucoup appris humainement et qui contribuera à lui donner les clés pour s’envoler ensuite, l’idée voit donc le jour, et la raviole de légume se joue en clé de sol, tandis que l’espadon rejoint la clé de fa, et l’agneau accompagnera une partition en sol majeur.

L’indépendance et le goût du terroir

Joris quitte les rives du restaurant Le Hatley, au Manoir Hovey, pour rejoindre celles du même lac au bord duquel le Ripplecove l’embauche cette fois en tant que chef exécutif. Il donnera ici la mesure de tous ses apprentissages, humains comme culinaires et artistiques, et donnera un nouveau souffle aux produis du terroir.
Je suis tombé en amour avec les produits québecois, et dès mon arrivée au Québec, lorsque je conduisais dans la campagne, je me suis arrêté dans des fermes, j’étais attiré par la découverte de nouveaux produits ou d’usages, et de l’interaction entre tout ce qui compose notre alimentation. Par exemple, l’importance du foin que l’on donne à manger aux animaux : pour certaines bêtes, il faut tel type de foin, et pas un autre. J’ai déroulé le fil en faisant par exemple fumer mon bœuf uniquement avec le foin qu’il avait mangé, j’ai aussi réalisé des crèmes glacées au foin. Les techniques amérindiennes de cuisson m’ont aussi beaucoup inspiré : en plus du fumage, j’ai pratiqué la cuisson en terre, ou le séchage, comme avec la « mousse de caribou, qui est un lichen typiquement boréal. Sans parler de toutes les baies que l’on trouve ici à profusion : argousier, genévrier, et surtout la camerise, au goût original et sucré ».

Idem pour le vin : le Québec en produit de fameux, et Joris avait alors exceptionnellement imposé à son sommelier de servir le pétillant du domaine de Bergeville avec son amuse-bouche : Les notes de noisette présentes dans le vin et dans l’amuse-bouche, qui était une mousse de fromage local au lait de vache cru, répondaient à celles du pétillant dans une harmonie parfaite. Rien que d’y penser, j’en salive encore !

Un futur plein de promesses

Totalement acclimaté au Québec et à ses merveilles, il est désormais temps pour Joris de franchir une nouvelle étape, et de prendre le poste de chef exécutif du W, hôtel et restaurant de luxe appartenant à Marriott, à Montréal. La perspective d’un projet de grande ampleur où il faut être sur tous les fronts, des fourneaux au management en passant par la gestion, l’a motivé.

Pour autant, Joris ne s’arrêtera probablement jamais d’avancer ni d’inventer. Il se rêve secrètement comme le nouvel Auguste Escoffier des temps modernes, et est convaincu que la cuisine ne va cesser d’évoluer, dans son fonctionnement comme dans les saveurs. Participer à cette évolution est une évidence pour lui : formation, transmission et création de nouveaux process à même de révolutionner la cuisine moderne sont au cœur de ses préoccupations actuelles, et futures.

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