Ma tribu médocaine : Benjamin Lasserre, le tonnelier vigneron

Ma tribu médocaine : Benjamin Lasserre, le tonnelier vigneron

Bienvenue dans cette nouvelle série sur Toutlevin !
Le bordeaux bashing vous connaissez ? C’est l’art de dézinguer tous azimuts notre belle région viticole. Certes, Bordeaux doit confesser un gros péché d’orgueil, mais il y a aussi une véritable cabale journalistique contre Bordeaux. Le Médoc, fief des grands crus classés est le plus ciblé. Inquiet de ce bad buzz, je vous invite à aller à la rencontre de femmes et d’hommes du Médoc, dont la sympathie et la singularité contredisent parfaitement ce jugement de Bordeaux. En bon médocain, voici mes copains, ma tribu !

Pour commencer cette série, faisons une escapade dans une ruralité révolue, dans un décor de carte postale. Voici le monde de mon ami Benjamin, tonnelier-vigneron de son état.

Fermez les yeux et pensez au village parfait : que voyez vous ? Une chapelle, un café, et l’atelier d’un artisan : ici la tonnellerie Lasserre. Nous ne sommes pas dans un village saisonnier où les boutiques à touristes ont remplacé les commerçants. Nous sommes dans le cœur du Médoc viticole, à Vertheuil, dans une ambiance qui n’a certainement pas changée depuis les années 60.

La tonnellerie pourrait sans doute être l’un des derniers métiers d’artisanat qui ait survécu à la modernité. C’est vraiment un bel univers. Il va des plus belles forêts centenaires jusqu’aux chais des grands crus, en passant par la main du tonnelier. La manufacture d’une barrique est d’abord un jeu de mécano pour assembler ce beau récipient doucement galbé, sans clou ni vis ni colle. C’est qui elle ?

Un mécano à la fois doux et violent.
Le montage d’une barrique est une affaire de précision. Chaque élément en chêne s’imbrique pièce par pièce pour obtenir cette belle forme ronde. Tout se joue au toucher. Par contraste, enchâsser les cercles en fer qui vont structurer l’ensemble est une opération de force, faite au marteau, dans un claquement dantesque.
L’impression est encore amplifiée par le spectacle du feu qui permet de courber le bois à chaud. La création de la barrique ne s'arrête pas à une construction mécanique.
Si pour le vin elle est de prime abord un contenant physique, il est surtout un exhausteur aromatique et gustatif. L’art du tonnelier est de bien marier le bois de la barrique au vin. Il est à la fois ébéniste, forgeron, et surtout un talentueux torréfacteur de chêne.

La singularité de cette tonnellerie familiale

Cette quadrature de la barrique est la raison d’être de la famille Lasserre depuis quatre générations.

Benjamin : Maître tonnelier
Benjamin : Maître tonnelier

Tout en Benjamin illustre son aptitude aux exigences de ce métier, le seul qu’il n’ait jamais envisagé de faire depuis son plus jeune âge. Le gaillard, qui possède des biscotos à faire pâlir un champion d'haltérophilie, est d’un calme olympien. Une force tranquille. L’homme n’est pas vraiment un taiseux, comme souvent ceux qui font un travail exigeant, mais il est plus dans l’observation que l’expression. Il a l’œil qui pétille et ne manque jamais une bonne blague. Un bourreau de travail, levé aux aurores, souvent là le weekend. Depuis qu’il sait marcher, il n’a d’autres raisons d’être que celle de la barrique.

C’est toute la singularité de cette tonnellerie familiale.
La tonnellerie comme la pratique Benjamin est exceptionnelle. On a du mal à le croire mais une vraie industrie s'est bâtie autour de ce métier. La plupart des tonnelleries sont devenues de très gros business high tech avec de la recherche et développement dans tous les sens : équipées de mega-robots qui remplacent l’humain. Mais dont le marketing vend toujours de la tradition...

Ici tout passe entre les mains de Benjamin, mais aussi de son père toujours présent, toujours souriant.

Rituel immuable, toute journée commence par la sélection des bois.
Chaque pièce de chêne et soupesée, touchée, regardée, pour être sûr que son fil soit parfait. Ces lattes, dites douelles, des planchettes sont faites dans le fameux merrain. Issus d’arbres âgés de 200 ans, elles sont fendues pour garantir une bonne étanchéité. Si les fûts fuient, c’est fini. Ca c’est fait.

La propriété familiale en Haut Médoc, Château Lesquireau Desse
La propriété familiale en Haut Médoc, Château Lesquireau Desse

Le rôle principal de Benjamin est de savoir rester en second

En plus, des capacités mécaniques du chêne, ce sont ces qualités aromatiques et gustatives que Benjamin va minutieusement scruter, ciseler.
Exactement à l’identique d’une vigne, le chêne aura un différentiel de goût et d’arômes en fonction de la forêt dont il provient, des sols, de l’exposition, de l'espèce de chêne.
Comme il le dit : "pour chaque vin qui va remplir mes barriques, je pense à la façon dont je vais travailler le bois dans la journée".
La part du tonnelier dans le design du goût du vin est de la plus grande importance. D’abord parce-que son effet est irrémédiable, sitôt le vin en contact avec la barrique, il n’y a pas de retour possible. C’est là où son expertise prend toute son importance.

Le vigneron confie tout le travail que représente son vin au savoir-faire de Benjamin. La confiance doit être absolue. Et là c'est d’abord une affaire humaine. La capacité d’écoute de Benjamin trouve ici toute son importance.

A l’instant de cette concertation avec le vigneron, Benjamin pense en deux temps. Il focus sur le résultat qu’attend le vigneron ; Un vin finalisé grâce à la barrique, et prêt à être mis en bouteille.
Et dans le même temps il visualise le traitement qu’il va opérer sur la barrique pour que ses qualités orientent le vin pendant l'élevage sous bois.

Le rôle principal de Benjamin est de savoir rester en second.
Dans ce duo bois / vin, la barrique doit accompagner la révélation du goût du raisin mais ne doit pas la dominer.
Tous les vins n’ont pas la puissance pour la supporter et resteront toujours meilleurs dans une dégustation jeune.
Laisser le vin plus d’un an en barrique lui permettra de bien vieillir.

Du reste, pourquoi doit-on élever un vin en barrique ?

Dans la création du goût d’un vin, tous les goûts et les arômes ne sont pas présents dans le raisin. Ils apparaissent ou se préparent au fil des mois durant lesquels le vin jeune séjourne dans les fûts.
Le premier effet de la barrique est de permettre de collecter par décantation les nombreuses impuretés qui flottent dans le tout jeune vin.

L’effet le plus connu de l'empreinte de la barrique sur le vin est sans doute celle des tanins. La mode est heureusement passée, mais fut un temps où Bordeaux enfumait les américains avec des vins hyper boisés, hyper tanniques.

Benjamin m’explique que si le vin ne reste que quelques mois en barrique les tanins du chêne sont durs et secs.
Là je décroche : il y a des tanins, puis il n’y en a plus. What ?
Il me dit : "viens, on monte en voiture, on traverse le village et on arrive à la chapelle". On parle de mariage bois / vin et on se retrouve à l'église, normal. Ils se passe des choses étranges dans le Médoc. Mais notre destination est finalement un joli chai en face de la maison du seigneur, bien rempli de barriques. Le château Lesquireau Desse, la propriété de sa famille depuis trois générations. Tiens tiens le tonnelier est aussi vigneron !
L’idée est excellente, il teste ses barriques lui-même.
Le cas est unique, mais pourtant évident.

Benjamin, son vin dans ses barriques
Benjamin, son vin dans ses barriques

Il prend une pipette et me fait goûter le vin sur deux barriques.
La première : anguleuse, elle dessèche carrément les papilles, quatre mois de barrique.
La deuxième : le millésime d’avant, un an de barrique. C’est onctueux, avec une légère sucrosité. Les tanins auraient-ils disparus ?
En fait non, les tanins additionnels de la barrique vont d’abord imprégner le vin. Ensuite grâce à la lente oxygénation que permet la densité poreuse du chêne, ils vont se coupler avec les tanins originels du raisin. Ils formeront des molécules plus grosses, moins incisives sur la langue. Avec une barrique, il y a plus de tanins, mais ils sont meilleurs en bouche. Cette micro oxygénation permettra également de fixer le rouge du vin.

La barrique est perceptible dans le vin via deux de nos sens, le goût par le tanin et la sucrosité, et la vue par la coloration.

Et là question ! Ne dit-on pas d’un vin qu’il sent la barrique ? Quid du troisième sens ? Mon nez au dessus du verre, je sens très entremêlé des arômes de barriques mais super subtils, parfaitement mariés avec les arômes initiaux du vin. Sans doute la proximité de l'église...

Benjamin, une part de l’âme vivante du Médoc

Instinctivement j’attendais d’un vin de tonnelier que sa griffe boisée soit bien présente dans le vin. Et bien non ! En aucune façon les barriques de Benjamin ne dénaturent le vin, elles l'accompagnent. Il ne suffit pas à Benjamin d’avoir le goût du vin, il lui faut simplement avoir bon goût.
Pour comprendre les arômes apportés par la barrique, retour à la tonnellerie. Après le chai frais et humide avec une météo hivernale, il fait drôlement bon, ici des braseros sont allumés. Ils ont même positionnés les barriques dessus, il y a des flammes ! Étrange métier que celui où on met le feu à la production.

Opération de chauffe pour donner le goût des barriques
Opération de chauffe pour donner le goût des barriques

Blague à part, Benjamin m’amène au dessus des barriques pour sentir, et c’est génial. Puis un peu plus loin sentir aussi des barriques retirées du feu. J’hume la première, encore chaude, brûlante même. elle n’a pas été trop soumise à la chaleur du brasero. Sincèrement cela sent tellement bon que l’on en mangerait, un grillé léger comme une bonne brioche.
La barrique suivante à été plus toastée comme on dit : et là miam de la vanille. Il y a tout un florilège d'arômes que le temps d’exposition et l’intensité du brasero va conditionner. C’est là que la dénomination métier d’art prend son sens. Il n’y a pas de thermomètre ni de chronomètre, tout se fait au jugé.

Je me mets à penser aux dizaines d’années de travail de Benjamin, à l'héritage culturel qu’il a reçu de trois générations qui l’ont précédés …

Qu’ils soient grands crus classés, ou vignerons artisans chaque client recevra la somme de tout ce talent. Il parait même que l’on vient chercher depuis le japon pour faire des barriques pour une sauce soja grand cru. Mais ceci est une autre histoire, dans un prochain épisode.

Voici fait le portrait de Benjamin, une part de l’âme vivante du médoc. Soyez les bienvenus dans ma tribu médocaine...

Merci l’ami !

@Crédit photos : Loïc Siri

Retrouvez tous les portraits de notre série Ma Tribu Médocaine !

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