Siran, un château étonnant

Siran, un château étonnant

La rive gauche. Celle de Bordeaux, celle des vignobles à perte de vue, balayés par l'air salin de l'estuaire qui a vu passer tant de voyageurs à bord des caravelles du fameux "Commerce Atlantique", la délimitant sur son flanc nord, dont les villages sont curieusement désuets, comme délaissés, conférant à l'ensemble un charme indéfinissable imprimant sa différence avec la sœur d'en face, la rive droite.

Ici, les noms des propriétés mythiques jalonnent une route laissée dans son jus et les portails au détour des courbes, s'ouvrent sur des propriétés aux architectures dissemblables, témoins du passage des propriétaires successifs et cosmopolites de la renommée planétaire des vins. Les paysages lissés par la vigne, les graves affleurantes lui confèrent souvent un aspect presque lunaire, étonnant. La beauté du spectacle avec la Gironde gironde en contrebas des parcelles, cette lumière si particulière, été comme hiver, induit de suite la spécificité d'un terroir nivelé par le passage des siècles. En arrivant à Margaux, l'impression d'être transporté sur une autre planète, habitée par des fantômes, est prégnante. Et pourtant, en y regardant de plus près, la vie est bien là, entre les passages incessants des tracteurs entre les rangs de vigne, les vignerons, souvent seuls dans l'immensité des vignobles qui veillent, surveillent, jaugent, la météo de cette année 2016, qui en ce mois d'août caractériel, apporte son lot de calamités, entre stress hydrique intense et échaudage d'autant imprévu que la vigne n'avait reçu que des tonnes d'eau printanières et incessantes.

Ici à Margaux, le classement 1855 a sélectionné des propriétés à travers la loupe du marché de courtage en vigueur à l'époque, une coupe franche et méthodique qui aujourd'hui ne correspond plus à la réalité et du commerce des vins de la rive gauche quelque peu faussé par le marché chinois au détriment des nouveaux investisseurs qui travaillent dur et bien pour extraire la quintessence de leur terroir, le propriétaire de Sociando-Mallet, Jean Gautreau en tête.

Quand je pénètre le porche du Château Siran, sous une lumière bleuissante, asséchante en cette matinée du mois d'août, le charme des lieux opère immédiatement, malgré la chaleur qui monte, implacable. Ici, à Margaux, les vignobles classés ont défilé sous mes yeux, plus prestigieux les uns que les autres, Margaux, Palmer, Dauzac, le proche voisin.
Dans la cour, les bâtiments s'allongent à l'ombre des arbres centenaires, fardés de rose tranchant avec bonheur avec le vert des feuillages. Malgré la chaleur déjà envahissante, le lieu respire la quiétude mais aussi le passage des siècles doucement remanié. Edouard Miailhe nous attend, surpris par une arrivée plus rapide que prévue, Siran ne se trouve qu'à 20 mn de Bordeaux. Edouard est très loin de l'image d'Epinal que l'on colle aux héritiers nés avec une cuillère en argent dans la bouche, lui qui incarne la 5ème génération d'une famille de courtiers puis de négoce en vins. Probable que si le cru avait été leur propriété au moment de ce classement de l'ère Napoléon, la qualité déjà bien présente, Château Siran n'aurait pas été exclu.

Edouard Miaihle devant l'Orangerie du Château Siran
Edouard Miaihle devant l'Orangerie du Château Siran

2 millions d'euros et demi plus tard

De suite, je peux sentir l'ouverture, l'homme du Monde, de celui qui l'a parcouru sous toutes ses latitudes. La famille Miailhe avait déjà largué des amarres aux Philippines dès 1820 à Manille, avec des affaires dans l'immobilier quand Edouard va y fabriquer des billets de banque pour le compte de la Banque Centrale des Philippines. Après avoir tenté d'y implanter des vignes et sans investisseur, dès 2007, affaires vendues, l'appel du large, celui de la vigne et du vin de Bordeaux ne lui résisteront pas longtemps et c'est donc avec sa femme Sevrine et ses 3 têtes blondes qu'ils vont décider d'investir la chartreuse XVIIIe de sa famille, qui jouxte les chais, d'un classicisme réconfortant, bien à l'aise à l'aube de ce XXIe siècle, propriété que ses parents avaient préservé des outrages du modernisme ambiant.

Faut dire que la famille est atteinte de la "collectionnite" aigüe. Son père va rassembler des collections extraordinaires allant des objets de la vigne et du vin à travers le monde et les siècles et l'aïeul une formidable collection de coquillages amassée par la branche irlandaise des aïeuls. Dans le chais entièrement refait, on peut y admirer une galerie étonnante de faïences, pichets de barbotine, d'amphores nécessaires à la confection des vins. Les parents d'Edouard marquaient déjà leur différence, en plantant partout des arbres, créant des sous-bois y compris en pleine... AOC Margaux. "Mes parents parlaient déjà d'oenotourisme dès les années 80". A chaque détour des salles, les surprises vont croissant, entre la galerie des portraits des ancêtres et les collections de barbotines précieuses.
Le lieu est enchanteur, une oasis en plein désert viticole, bourré de charme, avec la future maison dévolue aux chambres d'hôtes à venir, croulant sous la glycine, face aux topiaires de buis gardant le vignoble d'un seul tenant.
En 2007, Siran est une belle au bois dormant. Consulté par le regretté Denis Durbourdieu, les vins sont régulièrement bien notés affichant leur différence merlot avec une grande proportion de petit verdot. En engageant Hubert de Boüard comme consultant, les notes décollent, régulières conformes aux investissements. Les crus se sont toujours vendus les plus chers au pays des non-classés. Le terroir parle et tient tête à tout classement, n'offrant aux consommateurs la réalité d'un grand vin que Margaux sait nous offrir.

Crus bourgeois

Ils ont la noblesse, le chien et la marque des grands. Ils ont tout des grands et souvent ils valent mieux que certains d'entre eux. . Parfois même ils valent mieux que certains d'entre eux. Une sorte d'assemblée nationale des vins révolutionnaire, qui semblent avoir à régner avec le tiers-état. Le classement, révisable tous les dix ans, les a nommés crus bourgeois exceptionnels, c'est-à-dire en tête d'une liste de 247 crus. Edouard Mhiaile va refuser de les rejoindre malgré son inscription.

"En 2008, je ferme à la visite, en 2009, j'ai grêlé, en 2011/2012 on a tout refait."
Malgré les obstacles, la famille s'obstine, engrangeant un capital sympathie. et très vite, 5000 visiteurs se ruent pour découvrir ce vignoble décidément pas comme les autres.

Le bunker

Les équipes y sont jeunes, entre le chef de culture mais aussi les jeunes équipes chargée de l'oenotourisme, tous motivés par une même envie.
Très vite, la propriété va articuler l'ouverture de la propriété autour d'une offre culturelle remarquable en s'alliant aux Crus Classés voisins.
Mais Siran détient la palme de la particularité. Il suffit de découvrir la cave qui enferme la collection des touts premiers crus datant de 1912 en passant par 1947 et 1912 jusqu'aux derniers millésimes.
Il suffit de voir la jeune Sophie Rousseau, responsable du tourisme, s'arc-bouter sur la porte blindée marqué du symbole nucléaire pour comprendre. Le bunker est en réalité un abri anti-atomique voulu par le grand-père lors de la guerre froide qui régnait entre bloc de l'Est et de l'Ouest. Y descendre constitue le clou de la visite. S'y enfermer en cas de tempête revient à tutoyer Bacchus, tant le lieu est idéal, tant par la température et les trésors réunis, l'atmosphère. Ici, on est en prise directe avec l'Histoire. Et à Siran, elle remonte au XXIIe siècle. Toulouse-Lautrec doit y avoir son fantôme.

Crédit photos : Marilyn Johnson

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