Amélie Osmond, rencontre avec une vigneronne bordelaise rock’n roll

Amélie Osmond, rencontre avec une vigneronne bordelaise rock’n roll

Installée depuis 2015 avec son compagnon Victor Mischler au Clos du Notaire, en Côtes de Bourg, cette néo-vigneronne s’est fait un nom avec son approche décomplexée et ses vins de belle facture, renouvelant l’image de Bordeaux. Rencontre avec une femme de tempérament bien dans ses bottes.

Laura : Amélie Osmond, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Amélie Osmond : J’ai 40 ans, je suis vigneronne depuis 8 ans avec Victor en Côtes de Bourg, au Clos du Notaire. Notre vie de vignerons est le fruit d’une reconversion professionnelle entamée à l’âge de 28 ans, alors que nous vivions en Alsace. Je travaillais alors depuis dix ans dans la publicité, l’aménagement intérieur et le commerce, et Victor était charpentier.

Château du Clos de Notaire - Côtes de Bourg
Château du Clos de Notaire - Côtes de Bourg

Laura : Comment se lève-t-on un beau matin en se disant qu’on va devenir vignerons ?

AO : Ça faisait quelques mois que Victor et moi voulions travailler ensemble pour exploiter notre complémentarité de compétences, mais sans savoir exactement quoi faire. Nous avions tous les deux envie de métiers qui avaient plus de sens, en lien avec la nature. Je suis originaire de Champagne, j’ai baigné dans la viticulture toute mon enfance. Les vignes, les odeurs de raisin, de vin, c’était un peu ma madeleine de Proust. L’idée de partir du raisin pour aller vers un produit noble de l’agriculture et de la gastronomie française nous plaisait vraiment beaucoup. Au détour de vacances à côté de Bordeaux, vers Lacanau, nous avons décidé de visiter un domaine à Bordeaux. Et d’un coup, en me retrouvant au milieu des vignes, j’ai eu cette révélation. J’ai dit à Victor : viens, on s’installe et on fait ça ! Il m’a regardée et m’a dit : miss monde, arrête ton délire, on rentre à la maison ! Sur le coup, je me suis dit qu’il avait raison, que c’était complètement fou, et ça m’est sorti de la tête. Quinze jours après, on visitait un terrain pour faire construire une maison en Alsace. En attendant l’agent immobilier sur le bord de la route, Victor me dit : tu sais, ce dont tu m’as parlé dans les vignes, j’y ai un peu réfléchi et je crois que ça me tenterait bien ! A partir de là, on s’est imposé un mois sans en discuter pour réfléchir chacun de son côté et être bien certains que c’était une décision commune. On a fait nos recherches d’écoles pour faire nos études, Suze-la-Rousse, Blanquefort, Avize... On recevait les réponses mais on ne se disait rien. Un mois après, on s’est retrouvés autour d’une bouteille de vin, et la décision a été prise en cinq minutes ! Six mois plus tard, on obtenait des ruptures conventionnelles, et six mois après, on déménageait et on arrivait à Bordeaux pour changer de vie. C’était en 2012.

Laura : Lorsque vous avez opté pour cette nouvelle carrière, vous connaissiez peu la viticulture. Comment vous-êtes vous alors donné les moyens de vos ambitions ?

AO : Nous avons d’abord travaillé un an dans les vignes et chais pour être sûrs que l’activité nous plaisait, puis avons suivi un BTS viticulture-œnologie en alternance à Blanquefort, en région bordelaise. Nous étions dans une classe exclusivement composée d’adultes en reconversion, venus de plein de régions différentes. Ça nous a grandement fait évoluer. C’était aussi génial de se retrouver d’un coup avec quarante potes, alors qu’on arrivait juste dans une région où on ne connaissait personne ! Lors de nos études, Victor a été embauché en alternance dans une petite propriété à côté de Saint-Émilion qui avait déjà des ambitions biologiques, et moi j’ai eu la chance d’être embauchée à L’Évangile, à Pomerol. C’était l’idéal pour comparer deux approches de viticulture différentes, le système D et l’aisance financière avec tous les derniers outils modernes. Cela nous a permis de définir nos priorités d’investissements pour créer des vins de qualité, que nous souhaitions valoriser en bouteille. Nous avons aussi eu des maîtres de stages exceptionnels, qui nous ont tout appris de A à Z. En parallèle, durant le BTS, j’ai fait des demandes auprès de la Chambre d’agriculture et de la Safer pour monter un dossier d’installation avec une dotation jeunes agriculteurs. Une fois le BTS en poche, nous étions prêts à actionner directement lorsque nous trouverions une propriété qui nous convenait.


Ouillage visant à maintenir le niveau maximal des fûts
Ouillage visant à maintenir le niveau maximal des fûts

Laura : Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur Bordeaux, et plus particulièrement sur les Côtes de Bourg ?

AO : On s’est dit que quitte à changer de région, autant se rapprocher de l’océan et de son climat plus ensoleillé ! Au départ, on voulait venir à Bordeaux pour nos études, puis aller vers le Languedoc et Cahors pour y trouver un domaine. Il s’avère qu’on logeait à Cubzac-les-Ponts, juste à côté des vignes en appellation Côtes de Bourg. On randonnait beaucoup, et on est tombés amoureux de cette appellation très vallonnée, avec des terroirs splendides, le fleuve juste devant, ce petit village médiéval accroché à flanc de falaise en bord de fleuve, et un prix des terres abordable pour le commun des mortels. Je n’en reviens d’ailleurs toujours pas de la qualité de notre terroir. On a alors commencé à se renseigner en discutant avec les gens autour. Durant le BTS, nous avons visité tout ce que nous pouvions en Côtes de Bourg, mais à chaque fois, il manquait le petit truc qui nous faisait vaciller. Alors qu’on allait partir, comme prévu, entamer des recherches vers le Languedoc ou Cahors, on nous a présenté par hasard le Clos du Notaire, dont le propriétaire souhaitait prendre sa retraite. Quand on l’a découvert, ça a été un coup de cœur indiscutable. On n’y connaissait pas encore grand chose, mais on a vu que ce terroir, ces carrières calcaires et le fleuve amèneraient quelque chose de différent pour façonner des vins un petit peu originaux. Ça a matché avec l’ancien propriétaire qui nous a accompagnés sur un an. Puis on a officiellement repris le domaine fin novembre 2015. Aujourd’hui, le Clos du Notaire compte vingt hectares de vignes, plantés en merlot, cabernet franc, cabernet sauvignon, complétés d’une petite parcelle de malbec, cépage historique de l’appellation, plantée dès notre arrivée en 2015.

Laura : D’ailleurs, Le Clos du Notaire, voilà un nom qui marque la mémoire. D’où vient-il ?

AO : Ce domaine appartenait à un maçon dans les années 1850, qui a souhaité la mettre en vente chez un notaire à Jonzac, en Charente-Maritime. Quand le notaire a vu cette propriété déjà reconnue comme cru artisan, avec son très beau terroir et sa magnifique petite chapelle au milieu des vignes, il a craqué et l’a achetée. Le domaine est ensuite passé dans les mains des différentes générations de cette famille de notaires, jusqu’au dernier, parti en 1974. Ensuite, monsieur et madame Charbonnier ont repris le domaine, qui s’étendait alors sur huit hectares, et l’ont mené à vingt hectares au fil des 40 années où ils l’ont détenu. Ce couple avait un peu le même profil que nous, des Parisiens reconvertis de l’aéronautique, qui avaient changé eux aussi de vie. Un lien fort s’est tissé entre nous.

La chapelle au milieu des vignes
La chapelle au milieu des vignes

Laura : Depuis cette reprise, quels chantiers avez-vous entrepris au Clos du Notaire ?

AO : Dès notre arrivée, nous avons voulu aller vers l’agriculture biologique. Au départ, nous avons commencé à travailler en bio sans demander le label, pour maîtriser nos contraintes et coûts de production, car nous ne pouvions pas prendre le risque de perdre notre récolte. Quand on s’est sentis à l’aise, on a demandé le label en 2018, et l’avons décroché en 2021. A partir de 2017, nous nous sommes aussi épris de Konrad Schreiber, qui milite pour l’industrie du vivant dans les sols. Nous l’avons notamment écouté sur l’enherbement total pour favoriser la biodiversité et inciter nos vignes à plonger dans les calcaires, afin de produire des vins racés. Nous avons implanté différentes variétés d’engrais verts, céréales, graminées, légumineuses, qui ont toutes des fonctions différentes sur la structuration du sol. C’est une boucle vertueuse qui nous a permis de diminuer le travail des sols, donc l’utilisation du tracteur et la consommation de carburant. Nous avons appris à trouver des alternatives pour vivre avec cet enherbement. L’un de nos avantages, c’est notre localisation en bord de fleuve. Avec les phénomènes de marées, nous avons beaucoup de vent, qui nous aide à assécher les feuillages et à diminuer le développement de maladies. Après avoir dans un premier temps baissé avec cet enherbement, nos rendements sont en train de remonter. La vigne est aujourd’hui en pleine forme !

Le vignobles des Côtes de Bourg
Le vignobles des Côtes de Bourg

Au chai, nous avons aussi travaillé le profil des vins, avec deux gammes. C’était important pour nous de respecter la tradition bordelaise avec des cuvés basées sur l’assemblage et l’élevage, mais nous avons opté pour une absence d’élevage bois pour le Château Le Clos du Notaire et un élevage très maîtrisé pour Notaris. A côté de ça, nous avons aussi développé la gamme Les Borderlines, qui sort des sentiers battus bordelais avec des monocépages, des cuvées sans soufre, des élevages en cuves inox, en amphores…
Sur cette base, nos ambitions commerciales dès 2016-2017 étaient de nous développer sur le marché français. Quand j’ai commencé, j’avais beaucoup de mal à comprendre les différences entre négoce, cavistes, grossistes, export, grande distribution... Je n’avais pas les codes pour l’export. A l’étranger, nous avons donc maintenu nos marchés existants, notamment la Belgique et l’Angleterre, qui étaient fidèles, et je me suis concentrée sur le marché français. J’ai pris mon bâton de pèlerin et je suis allée voir les cavistes français pour présenter la nouvelle génération de Bordeaux. J’ai commencé à me sentir plus à l’aise à partir de 2018. Historiquement, nous avons aussi quelques belles adresses sur la restauration haut-de-gamme, mais c’était plus marginal. C’est aujourd’hui un créneau que je m’efforce de développer, en m’entourant d’agents pour qu’ils aillent vers les cafés, hôtels et restaurants, car nous avons un mix profil-prix qui leur plaît beaucoup.

Laura : Il y a pu avoir et il y a encore parfois, à tort, une certaine défiance envers les vins de Bordeaux. T’es-tu heurtée à ce Bordeaux bashing ? Et si oui, comment l’as-tu contourné ?

AO : Je suis passée par différentes phases. Quand je prospecte, je prends rarement des rendez-vous. Je trouve que nous faisons un métier humain et de valeurs, je pousse la porte et je rentre pour voir à quel profil de caviste et de cave j’ai à faire. J’aime voir qui vend mes vins et savoir que le caviste est capable de bien les expliquer aux clients. Au tout début, on me disait : on ne veut pas de Bordeaux, ça fait dix ans qu’on n’en vend pas une goutte, on a que des grands crus, on n’en veut pas. J’ai contourné le système en me présentant d’abord comme une vigneronne bio venant de Bourg, et non plus en mettant Bordeaux en avant en premier. Les cavistes goûtaient volontiers, me disaient que le prix était top, la qualité aussi, et là, ils réalisaient qu’il s’agissait du Bourg de Bordeaux ! Une fois le stade de la dégustation passé, ils sont convaincus. Ensuite, des événements, comme le speed-dating Cavistes Dating organisé par Terre de Vins, m’ont permis de rencontrer des cavistes de qualité, qui n’avaient pas d’a priori et étaient sur la même longueur d’ondes que moi, amoureux de leur métier, aventuriers dans la découverte et la dégustation, et tout simplement très généreux. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs devenus des copains, voire des amis, ont fait fonctionner le bouche-à-oreille, et c’est comme ça que mon marché en France s’est développé. Pour vendre ses vins, il faut avant tout croire en ses cuvées, en sa philosophie… Je fais un scénario à chaque prospection, je fais confiance à mon instinct, je suis nature, c’est ce qui marche le mieux. Et je m’amuse beaucoup !

Le Clos du Notaire
Le Clos du Notaire

Laura : Quelles sont les réussites qui vous rendent particulièrement fiers depuis la reprise du domaine ?

AO : Nous sommes passés en bio, avons changé fondamentalement les vinifications, sommes allés vers des méthodes plus respectueuses et modernes, avons entièrement repensé la commercialisation pour la rendre plus qualitative et valorisante, et en plus de tout ça, avons rénové nos gîtes. Nous sommes fiers de tout ce que nous avons accompli en moins de huit ans. Ça a été un travail acharné de mener plein de chantiers différents à la fois, avec un même leitmotiv où rien n’est laissé au hasard. Nous pensons que notre démarche qualitative n’est possible que grâce à une somme de détails.

Laura : Peux-tu nous présenter vos différentes cuvées ?

AO : Nous avons imaginé nos vins en fonction des instants de vie où nous voudrions les boire, pour toutes les occasions, dans une large gamme de 9 à 50 €. Du côté de nos cuvées classiques en AOC Côtes de Bourg, le Château Le Clos du Notaire, assemblage d’une majorité de merlot et de cabernet franc et/ou cabernet sauvignon, est un vin généreux, dense et corsé, étiré par de bons tanins et une finale briochée. C’est le vin du repas de famille convivial par excellence, qui se mariera à merveille avec une entrecôte à la bordelaise et ses pommes-de-terre. A ses côtés, notre grande cuvée Notaris est atypique, car composée majoritairement de cabernet franc, cépage connu pour son élégance, sa finesse en bouche et son potentiel de vieillissement. Charnu, aux tanins présents mais souples, à la grande persistance aromatique, ce vin est le compagnon des repas de famille et tables de fêtes.

Bouteille du Clos du Notaire
Bouteille du Clos du Notaire

Quant à notre gamme, Les Borderlines, elle comporte plusieurs représentants en AOP Bourg. Travaillée sur le fruit et la gourmandise, L’Usufruit est une cuvée moderne 100 % merlot, parfaite avec des barbecues, grillades ou planches de charcuterie. Lui aussi monocépage merlot, notre sans soufre dévoile un profil sur la profondeur aromatique et les tanins fins, en faisant un vin de bistronomie et de gastronomie, à déguster par exemple avec un suprême de poulet sauce crémeuse aux morilles et un risotto. Nous avons également lancé en 2022 la cuvée iconoKlaste, 100 % cabernet franc élevé en amphores, accompagné par tout un projet artistique rock’n roll autour des cinq sens. Enfin, 100 % malbec, la cuvée La Cravate est issue d’un petit jardin et cousue main de A à Z, foulée, pigée au pied et élevée en amphores. Épicée, charnue et élégante à la fois, c’est le grand vin que l’on déguste patiemment, tranquillement, au calme au coin d’un feu de cheminée en plein hiver, ou sur des mets épicés, comme par exemple un gâteau au chocolat riche en cacao.

Laura : Si nos lecteurs veulent acheter vos vins, où peuvent-ils se les procurer ?

AO : On a un beau développement en France, donc il ne faut pas hésiter à aller demander à votre caviste s’il a nos vins. Sinon, il suffit de nous envoyer un mail au domaine, et nous vous dirigerons vers le caviste le plus proche.

Laura : Au-delà du style de vos vins, contribuez-vous à renouveler l’image de Bordeaux par d’autres actions ?

AO : Je crois que c’est un état d’esprit global que nous avons. Nous sommes entiers et généreux dans tout ce que nous entreprenons, que ce soit dans nos animations et dégustations, notre communication décalée sur les réseaux sociaux, l’habillage original de nos bouteilles, le choix de circuits commerciaux auprès des cavistes en bio. Nous faisons aussi partie de l’association Bordeaux Pirate, des vignerons bordelais qui sortent des sentiers battus pour promouvoir une nouvelle image de Bordeaux. Nous avons également été adoubés par le Collège culinaire de France d’Alain Ducasse et Thierry Marx. On aime beaucoup ce paradoxe entre les pirates et la reconnaissance des plus grands chefs français.

Laura : Parmi les leviers pour faire (re)découvrir Bordeaux, l’œnotourisme est aujourd’hui une démarche qui se généralise de plus en plus. Raconte-nous ce que vous proposez en la matière...

AO : Une image valant mieux que mille mots, nous proposons depuis toujours des visites au domaine. J’adore recevoir les gens pour leur expliquer ce que nous mettons en place et échanger avec eux. Ils sont très intéressés, qu’ils soient professionnels ou non, ils posent beaucoup de questions. Nous avons mis en place deux formats de visites : une traditionnelle vignes-chai-dégustation (gratuite jusqu’à 5 personnes, 5€ à partir de six personnes) et une autre accords mets-vins, avec des produits d’artisanat de Bourg et des environs, fromages, charcuteries et chocolat, en association avec nos vins (35€).
Nous avons aussi rénové depuis 2021-2022 deux gîtes de grande capacité, l’un de dix personnes et l’autre de sept à neuf personnes tout confort, classés 4 étoiles, pour proposer des expériences comme à la maison. Nous accueillons beaucoup de familles et groupes d’amis, notamment pour des occasions comme des anniversaires, des mariages, des baptêmes... Pendant le séjour, nous proposons aussi la visite et la dégustation des vins du domaine. Ce format plaît beaucoup.

Laura : Quels sont les défis de demain pour le Clos du Notaire ?

AO : Nous n’avons pas de gros investissements en vue. Nous nous concentrons pour développer l’aspect commercial à l’export, maintenant que le marché français est bien ancré. Il nous faut désormais trouver les bons partenaires pour faire rayonner nos vins au-delà de nos frontières.

Laura : A l’aube de ses dix ans, que peut-on vous souhaiter et souhaiter au Clos du Notaire ?

AO : De continuer à offrir du plaisir aux gens, d’avoir des marques d’affection qui nous reviennent, c’est ce qui nous nourrit jour après jour !

Crédits photos : Michaël Boudot

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