Bordeaux - Primeurs 2022 : la nature a le dernier mot

Bordeaux - Primeurs 2022 : la nature a le dernier mot

Bordeaux a présenté en avant-première ses vins issus de la récolte 2022, un millésime chaud et sec. Les vins ne seront disponibles en bouteilles qu’en début 2024, mais ils peuvent s’acheter dès à présent. Pour quelle qualité ?

Le pire n’est jamais certain. Des incendies à n’en pas finir, des vagues de chaleur qui se succèdent, une sécheresse persistante : les vignes qui donnent leur meilleur dans les climats tempérés ne sont pas à la fête et les producteurs font grise mine.

Pourtant, alors que toutes les herbes aux alentours sont desséchées et que les arbres souffrent (même l’arbre offert en 1787 par Thomas Jefferson, futur président des États-Unis, est mort de sécheresse au château Carbonnieux), cette année, la vigne garde son feuillage vert. Dans l’optimisation de ses ressources et contrairement aux années précédentes, elle a spontanément réduit son feuillage de 30 % et son approvisionnement en eau d’autant. Seul îlot de verdure dans un océan de désolation, la vigne bordelaise tient bon.

Mais dans quelles conditions ? Si l’état sanitaire de la vigne est excellent et les baies de raisin en bonne forme, les analyses montrent des potentiels élevés d’alcool, souvent 15°C, et des acidités très basses. Dans ces conditions, les vins risquent d’être alcooleux et mous. Les œnologues ont préconisé, comme dans tous les vignobles du Nouveau Monde, d’ajouter de l’acide tartrique le plus tôt possible, afin de rétablir un équilibre.

Pourtant, deuxième surprise, au sortir des fermentations et pour ceux qui se sont bien gardés d’acidifier, les acidités sont nettement supérieures à celles des raisins d’origine. Comme l’explique très bien Axel Marchal, professeur à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux, la fermentation tamponne les excès de la vigne, baissant les acidités lorsqu’elles sont trop fortes comme en 2021 ou en recréant de l’acidité lorsqu’elle en manque comme cette année. Ceci est d’autant plus flagrant pour les vignerons qui travaillent avec les levures indigènes.

Crédit photo : Bernard Burtschy
Crédit photo : Bernard Burtschy

2022, d’immenses vins rouges

Beaucoup d’observateurs soulignent le caractère paradoxal du millésime 2022, mais c’est avoir la mémoire un peu courte. Sans remonter à 1522 et 1523, des millésimes chauds et secs ont existé de tout temps. Le dernier en date dans les mémoires collectives est le 2003 où les prix des grands bordeaux avaient (déjà) explosé. En dépit de ce qui avait été annoncé à l’époque et même par le grand Robert Parker, le millésime 2003 ne figure pas dans les palmarès des plus grands, car en fait il manque d’équilibre et d’harmonie.

Parmi les millésimes chauds, 2 millésimes proches de 2022 et vraiment grands sont 1959 et 1947. À l’époque déjà, les niveaux d’acidité étaient remontés en cours de fermentation, ce qui avait été souligné par des observateurs vigilants comme le britannique Michael Broadbent. Cette remontée d’acidité est due à l’acide succinique, qui n’existe pas dans le raisin et qui est créé par les levures. Comme corollaire, les vins ont un côté salin qui signe le millésime 2022 avec des notes citronnées (dues à l’acide citrique).
Cette proximité avec le légendaire millésime 1947 se retrouve dans beaucoup de grands vins du millésime comme Ausone, La Fleur Pétrus, Montrose et autres Mission Haut-Brion. Cette proximité démontre que les vins sont de très longue garde avec d’ailleurs un côté aimable tout au long de leur existence : tout comme les 1959 et 1947, les vins du millésime 2022 seront bons jeunes, à leur apogée et même dans leur vieillesse. Quelle chance !

Des grands vins blancs secs et liquoreux

Les grands millésimes de vins rouges sont rarement les grands millésimes de vins blancs. Et pourtant, le millésime 2022 a aussi produit de grands vins blancs secs, car le phénomène de création d’acidité en cours de fermentation n’est pas exclusif aux vins rouges. Certes, ce ne seront pas des vins frais à déguster au printemps prochain, mais des vins à forte densité avec du corps qui sont taillés pour la garde et même la grande garde, ce qui est un peu oublié, car à 10 ou 20 ans, les grands vins des graves sont incomparables.

Il en est de même pour les grands liquoreux. Certes, l’année chaude et sèche a davantage favorisé la dessiccation du raisin, ce qui s’est passé avec une phase importante de passerillage et d’ailleurs certains producteurs ont vendangé à ce moment-là. Mais certains, à Sauternes et à Barsac, ont su être patients et la pluie a fini par arriver avec l’équinoxe de la mi-septembre. Elle est suivie d’une somptueuse pourriture noble qui engendre la production de liquoreux d’anthologie.

La morale de 2022

Pendant 2000 ans, après les Grecs, les rois de la viticulture, puis les Romains, les rois de la vinification, les Gaulois et toute l’Europe se sont acharnés à adapter la vigne qui est une plante méditerranéenne, à un climat qui n’est pas le sien en sélectionnant les cépages les plus précoces, les versants sud et autres coteaux les mieux exposés. Avec le réchauffement climatique, leurs successeurs tentent de faire le trajet inverse en cherchant à adapter des cépages sudistes et en intervenant plus ou moins lourdement sur la fermentation.

Avec le millésime 2022, la vigne a donné une formidable leçon de vie en s’adaptant elle-même, bien mieux que les humains d’ailleurs, aux nouvelles conditions climatiques.  La nature peut tout et fait tout  disait le bordelais Michel de Montaigne.

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