La révolution du no/low alcool : interview de Frédéric Chouquet-Stringer

La révolution du no/low alcool : interview de Frédéric Chouquet-Stringer

La révolution du no/low alcool est-elle définitivement en marche ? Très probablement. Un tiers des consommateurs se disent désireux de tester le vin sans alcool (selon une étude de Toutlevin l’Agence de décembre 2023).
C’est ce que pense Frédéric Chouquet-Stringer, qui a fondé une agence de marketing et une plateforme de distribution de vins sans alcool, en BtoB et BtoC. Il nous raconte.

Pauline Gonnet : Comment vous êtes-vous intéressé au vin sans alcool ?

Frédéric Chouquet-Stringer : J’ai lancé Zenothèque il y a un peu plus de 3 ans. Un jour, ma femme m’a demandé pourquoi je ne faisais pas du vin sans alcool, et comme beaucoup d’amoureux du vin, j’ai répondu que cela n’en était pas, je ne pouvais donc pas en faire. Et puis j’ouvre un journal en Allemagne, où je vis, et je tombe sur un article expliquant que la bière sans alcool dépassait le marché des alcoolisées. J’ai alors goûté des vins sans alcool, intrigué et curieux du potentiel de ce marché. J’ai bu des trucs affreux, et des vins très bons, allemands ou espagnols notamment. Et j’ai été convaincu.
Aujourd’hui, je peux dire que le vin sans alcool n’est pas contre le vin, c’est une addition au vin. Tout comme les rosés, les vins nature… Je préfère donc d’emblée casser l’idée que les vins sans alcool s’opposent, voire font du tort, aux vins classiques. C’est faux. Voire même, c’est un atout qui va bien au-delà du simple développement de marché (argument déjà considérable), pour un vignoble. En témoignent les grands noms de la viticulture française qui sont déjà créateurs de cuvée de vins sans alcool, comme Rodolphe Taittinger ou Coralie de Boüard (Château Angélus).

PG : Qu’est-ce que le vin sans alcool ?

FCS : La législation a évolué en 2021 où on commence à parler de vin désalcoolisé. L’enjeu parfois est de bien cerner les différentes dénominations dans le monde du no/low.
Le vin désalcoolisé contient moins de 0,5 degrés. Ce qui est (légalement) différent d’une boisson à base de vin désalcoolisé, ou de jus de raisins qui essaient de ressembler à du vin par le goût ou/et le marketing. Techniquement, la dénomination de vin sans alcool n’existe pas.
Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’on en parle comme quelque chose de récent, alors que la 1re machine à désalcooliser date de 1907 ou 1908 !
Globalement, ça se développe depuis 15/20 ans, et on estime la croissance de ce marché entre 7 et 11% par an.

PG : Est-ce qu’on peut désalcooliser tous les vins ?

FGS : Oui. Mais certains s’y prêtent plus que d’autres. D’abord, il faut un vin sans défaut : quand on enlève l’alcool, soit environ 13% du volume total, on concentre d’autant le reste. Donc la moindre imperfection prend des proportions imbuvables. L’avantage, c’est qu’il en est de même pour les qualités du vin.
Ce qui implique que le profil du vin qui sera désalcoolisé sera nécessairement un peu différent d’un vin qui conserve son alcool, pour en garder le meilleur. Rodolphe Taittinger a dit par exemple que son vin de base était imbuvable.

PG : Comment produit-on un vin désalcoolisé ?

FGS : Il existe 2 méthodes. La plus utilisée (environ 90% des vins désalcoolisés) est la distillation sous vide : on baisse la température d’évaporation de l’alcool, autour de 28/33 degrés. Ainsi, les arômes les plus volatiles ne partent pas et on garde l’ensemble de l’aromatique.
L’autre technique est l’osmose inversée, où le filtre va constamment égaliser le niveau d’alcool en faisant passer l’alcool dans l’eau, qui donc quitte le vin.
Mais la technologie la plus importante du processus sera celle de récupération des arômes. Après la distillation, on a le vin et l’alcool d’un côté, dans lequel restent encore pas mal d’arômes. Donc soit on distille à nouveau sous vide l’alcool, soit on travaille la capacité de l’élément aromatique à coller à une résine. Qui permet de maintenir les arômes et donc de moins sucrer le vin final pour compenser.

PG : Qui sont les amateurs et quels sont les avantages pour les vignerons d’en produire ?

FGS : Il y a tant de raisons de ne pas boire d’alcool (lire notre article ! Un marathon en préparation, un peu de route pour rentrer, une condition médicale ou un traitement…
Je mets toujours 2 bouteilles sur la table, une avec alcool et une sans car j’ai observé que 85% des clients qui achètent du vin désalcoolisé boivent également de l’alcool.
Quant aux vignerons, cela leur permet de trouver de nouveaux consommateurs, de conserver les volumes, et donc de maintenir un vignoble dans sa superficie en évitant l’arrachage, par exemple.
Les vignerons avec qui je travaille sont des gens qui ont envie de faire de la qualité et rester dans le monde du vin.
Pour les petits vignerons, les coûts de désalcoolisaiton et la perte de volume par bouteille, ainsi que les coûts de transport, ne sont pas neutre. D’un point de vue économique, c’est intéressant à partir de 40hL. Je propose par exemple de démarrer d’abord avec une palette. Et on avise. J’ai aussi des producteurs régionaux qui se sont mis ensemble et ont partagé une cuvée.

PG : Quels sont les débouchés commerciaux et les marchés porteurs ?

FGS : Aujourd’hui, les plus forts sont le Benelux, la Scandinavie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne.
La France, l’Italie et l’Espagne démarrent, mais on compte déjà 27 boutiques de boissons sans alcool pour adultes en France, dont Nicolas et d’’autres cavistes, ainsi qu’un peu en grande et moyenne surface.

PG : Comment lire les informations et bien choisir son vin ?

FGS : Il faut rester sur des produits ayant la dénomination de vin désalcoolisé, et ne comportant pas le mot boisson. Et chercher une cuvée avec la liste de produits la plus courte : raisin, mout concentré sucré (qui compense la perte d’alcool), et éventuellement du dioxyde de carbone pour les blancs et rosés.
Et surtout, il faut être curieux ! Comme pour le vrai vin, on en goûte plusieurs pour savoir ceux que l’on aime, de quelle région et de quel(le)s vigneron(ne)s.

Crédit photo : Frédéric Chouquet-Stringer

Publié , par

Vous aimerez peut-être


Nos derniers articles

Tout afficher