Le Bugey : vignoble singulier, vins pluriels

Appellation confidentielle enracinée dans la partie montagneuse du sud-est de l’Ain, le Bugey commence à se faire un nom grâce à une diversité de terroirs et le caractère bien affirmé de ses vins aux trois couleurs. Pour s’en rendre compte, Toutlevin a passé deux jours sur place au pays de l’altesse, de la mondeuse, de la tarte au sucre, des cuisses de grenouille, des toits de Lauze et des fours banaux. Une aventure intense dans ce territoire reculé où les vignes morcelées prennent place sur des pentes d’un autre temps…

C’est un territoire à la morphologie complexe, formée de vals, de gorges, de sources et de crêtes montagneuses, une région à l’identité contrastée entre nord et sud, un pays où la nature rime avec convivialité et où la bonne table a pignon sur rue.

Bienvenue dans le Bugey, au sud du département de l’Ain. Ici, les vignes trouvent leur place au milieu d’élevages laitiers (comté), de maraichage et de cultures céréalières. Au nord, le terroir de Cerdon est le royaume d’un renouveau effervescent : l’AOC Bugey Cerdon est l’un des trois ilots de production de la région et représente environ 130 ha sur les 500 (7000 au 19^ème siècle) de la jeune appellation reconnue AOC en 2009.

Le premier rendez-vous est pris à Boyeux Saint-Jérôme au domaine Rondeau. Nous sommes accueillis dans un petit hameau où les vignerons ont la gouaille facile et les mollets bien affûtés. Ici, on a de quoi rester en forme, on vendange tout à la main, explique Bernard Rondeau qui produit 90% de Cerdon. Issu des coteaux escarpés de 10 communes, ce pétillant est le résultat d’un mariage de raison entre le poulsard et le gamay et élaboré via une méthode ancestrale sans ajout de sucre ou levure.

Le Cerdon ? Un vin pop pétillant qui mérite la découverte !

Il y a eu un boom depuis le Pida des années 80 et les vignerons ont compris qu’il fallait surfer sur cette dynamique, prolonge Jean-Luc Guillon, vigneron du Cellier Lingot Martin mais aussi président du syndicat des vins du Bugey. C’est un vin à l’aromatique fraîche, fruitée et florale, qui convient parfaitement à ce que recherchent les consommateurs actuellement ! Effectivement, dès le coup d’œil, on a envie de se plonger dans ces petites bulles fines, délicates et cette couleur rosée et pétillante C’est un vin qui appelle l’appétence, léger en alcool (8% vol en moyenne), un vin pop qui mérite la découverte, prolonge le président précisant que les vins effervescents représentent 75% de la production de l’appellation Bugey.

On rencontre également Juvénal Turpin des Vins Daniel Boccard : Ce qui fait la richesse du Bugey ? La diversité géologique ! C’est un peu comme les climats en Bourgogne, à 50 mètres près, vous avez beau avoir le même clone, le sous-sol peut être différent et s’exprimer dans les vins.

Il y a aussi de la diversité dans les profils de vignerons. Prenez par exemple Aurélien Beyeklian qui a ouvert la Cuverie à Revonnas il y a 4 ans : J’ai eu une carrière de journaliste puis j’ai aussi pas mal œuvré dans l’humanitaire, explique-t-il. Mais j’ai toujours voulu mettre en avant les vins de ma région et avec la création de cette structure, je peux faire tout ce que j’aime avec en plus la biodynamie, la permaculture et une dimension œnotouristique importante pour le Bugey. Trait d’union entre le Jura et la Savoie, le Bugey n’a pas la notoriété de ces deux imposants voisins mais la donne change peu à peu.

Belley, berceau du Bugey avec ses toits de lauze et ses fours banaux

Cépages rares comme le poulsard, la mondeuse, la roussette, la jacquère ou la molette, vins conviviaux et accessibles, dont le foncier est plus qu’abordable (entre 15 000 et 30 000€ l’hectare), le Bugey (80 vignerons et aucune cave coopérative, 30% de surface en bio) se fait doucement une place au soleil. C’est vrai qu’on joue à fond la carte du vignoble confidentiel en mettant en avant nos forces que sont la diversité et le dynamisme, ajoute Jean-Luc Guillon. Un vignoble confidentiel qui tente de gagner en notoriété comme le 10 juillet dernier, lors du Bugey Day qui a eu lieu à Lyon afin de mettre en lien une vingtaine de vignerons, des professionnels du secteur, et le grand public. Une vraie aubaine pour promouvoir notre petite pépite méconnue, résume le président.

La suite du périple nous amène à l’est du Bugey chez le sympathique Fabrice Gros, vigneron du domaine des Plantaz en plein cœur de Belley, fief de l’auteur culinaire Brillat-Savarin : Ici, vous êtes dans le berceau du Bugey avec ses toits de lauze, ses lavoirs, ses fontaines, ses maisons en pierre et ses fours banaux, fierté locale. Converti à l’agriculture biologique en 2021, le viticulteur et sa famille sont implantés dans le petit village de Chavillieu depuis 1699. C’est là que nous rencontrons également Julien Quinard du Caveau Quinard : Pour moi, la force du Bugey, c’est cette somme de petites structures qui forment un collectif uni et soudé. Il y a aussi cette tradition de l’accueil des clients depuis toujours, prolonge Charles Varin du Domaine Monin. Ici, les caveaux ont toujours été ouverts de tous temps et ce n’est pas près de changer ! Belley, c’est aussi l’antre du climat Manicle, déjà surnommé cru pour la typicité de ses vins puissants au bouquet aromatique complexe où le pinot noir et le chardonnay s’expriment à merveille.

Montagnieu, coteaux abrupts et engagements bios

Le lendemain, nous arrivons à Marignieu, fief de la Maison Angelot où le syndicat a organisé une dégustation à l’aveugle d’une vingtaine de cuvées du Bugey au pied d’un châtaigner de 1448 ! (voir ma sélection en fin d’article).

Puis direction le secteur de Montagnieu où nous attendent quelques vignerons héroïques. Les pentes calcaires peuvent atteindre 30 à 70%, explique le jeune Clément Martin-Cocher du domaine éponyme à peine installé depuis un an. Il n’y a pas de place pour les non passionnés ! A ses côtés, Stéphane Trichon et sa femme acquiescent : On est passé au bio malgré les difficultés que cela pouvait engendrer avec l’altitude, le travail est peu mécanisable mais on en retire le fruit de notre travail par des vins savoureux. L’AOC Bugey Montagnieu ne regroupe que trois communes de productions sur environ 35 ha de vignoble et doit sa popularité à un blanc pétillant.

A Montagnieu, les Bonnard sont un exemple de réussite. Cette famille cultive 16 ha en bio (et quelques pratiques biodynamiques) sur des coteaux abrupts à deux pas du Rhône. Les terroirs sont bien définis avec des éboulis calcaires pour la mondeuse et le pinot noir, des argiles profondes pour l’altesse, et des galets roulés pour le chardonnay et le gamay, détaille Anne-Sophie, la dernière génération. Bientôt, la famille qui a fait de l’accueil une vraie activité, espère pouvoir retaper quelques grangeons (anciennes habitations viticoles) pour proposer des chambres d’hôtes. Et justifier encore une fois de l’authenticité de l’accueil bugiste.

Petit par la taille mais grand par le talent, le Bugey va à coup sûr rejoindre la cour des grands.

Toutlevin a (particulièrement) aimé :

• La Cuverie / Cuvée 24 mois / AOC Bugey Cerdon (18)
• Maison Bonnard / Roussette de Montagnieu 2021 (18)
• Cave Girardi-Dupoyet / AOC Bugey Cerdon (17,5)
• Maison Angelot / Pinot Noir 2020 (17,5)
• Cellier Lingot-Martin / AOC Bugey Cerdon (17)
• Maison Bonnard / Mondeuse 2020 (17)
• Domaine Trichon / Mondeuse 2020 (17)
• Cave Sylvain Bois le Grand Colombier / Chardonnay 2022 (17)
• Caveau Bugiste / Roussette 2021 (16,5)
• Domaine des Plantaz / Altesse 2021 (16,5)
• Maison Guilland / Pinot Noir 2021 (16)
• Domaine Tissot / Gamay 2021 (16)
• Maison Martin-Cocher / Altesse les Echalas 2022 (15,5)

Crédit photos : Yoann Palej / Photo de couverture : vue des coteaux abrupts de Montagnieu