Madiran, la seconde peau du tannat

Madiran, la seconde peau du tannat

Emmenée par une dynamique collective et une mutation générationnelle, l’AOC Madiran se lance un nouveau défi : balayer les préjugés. Non, le tannat n’est pas qu’un cépage rustique bon pour accompagner un cassoulet, c’est aussi et surtout un raisin noble qui peut donner des profils de vins fins, légers et fruités si on maitrise sa générosité. Vous êtes sceptiques ? Toutlevin est allé sur place pour s’en rendre compte et n’a pas été déçu du voyage. Immersion en pays gascon !

Le point de vue extraordinaire sur les coteaux au Château de Viella - Crédit photo Yoann Palej
Le point de vue extraordinaire sur les coteaux au Château de Viella - Crédit photo Yoann Palej

Le périple commence à Maumusson-Laguian, petite commune du Gers. Ici les 160 habitants ont forcément le Madiran dans la peau avec pas moins de 11 domaines implantés sur ce petit coin de paradis au carrefour de l’océan et des Pyrénées. Après avoir quitté le Château de Maumusson, havre de paix et hôtel de tourisme 4 étoiles à l’élégance rare, rendez-vous est pris avec Simon Capmartin du domaine éponyme. Il est l’un des ambassadeurs de cette nouvelle génération, le tannat chevillé au palais : C’est un cépage peu commun, généreux, riche, qui ouvre le spectre du champ des possibles. On peut tout faire avec : des vins aromatiques, très légers mais aussi des vins plus structurés. Le jeune homme de 35 ans, adepte de la biodynamie, le met en pratique au quotidien. Plus d’une dizaine de cuvées et pas mal de parcellaires pour décliner plusieurs identités de terroir et prouver la richesse de ce cépage longtemps catalogué et décrié. Il y a une dynamique jeune au sein de l’ODG et on travaille au quotidien pour changer l’imaginaire des gens, poursuit-il.

Le mal-aimé est devenu le bien-élevé

Le travail sur les parcellaires réalisé par la Cave de Crouseilles offre des vins identitaires - crédit photo Yoann Palej
Le travail sur les parcellaires réalisé par la Cave de Crouseilles offre des vins identitaires - crédit photo Yoann Palej

Sur toutes les lèvres, dans tous les palais, le mal-aimé est devenu le bien-élevé. Les vignerons ont montré qu’en intervenant sur les fermentations et les élevages, le tannat pouvait donner vie à des profils de vins différents, confie Pascal Savoret, le président du Syndicat de défense des Vins de Madiran et de Pacherenc du Vic-Bilh (son pendant en blanc, lui aussi reconnu en AOP depuis 1948 par l’INAO, et qui présente la particularité de partager le même vignoble). A noter également l’assemblage possible avec du Cabernet Franc, du Cabernet Sauvignon ou du Fer Servadou. Mais c’est bien le tannat, le cépage caractéristique de Madiran. Un cépage tardif, gélif, résistant, aux tanins puissants, pas faciles à dompter et qui jouit d’une image rustique depuis la période productiviste des années 1980. Mais le travail réalisé à la vigne depuis maintenant 30 ans paye, constate Loïc Dubourdieu, le directeur de la cave de Crouseilles qui est le plus gros opérateur de l’appellation (environ la moitié de la production globale). La recolonisation des pentes ouest, une meilleure gestion des rendements, de la maturité et de la concentration lors de la vinification ont élargi la palette gustative. Il y a aussi ce changement de cap sur les sélections parcellaires et la pratique d’une viticulture sur mesure qui ont abouti à la création de cuvées inédites, originales loin de la standardisation sans personnalité. L’identité est restée la même mais la visibilité sur les marchés évolue dans le bon sens. On a trop longtemps communiqué uniquement sur nos hauts de gamme, assume Pascal Savoret. Aujourd’hui, on a changé notre fusil d’épaule, c’est le cœur de gamme, celui des vins sur la buvabilité, qui est en train de faire entrer le consommateur dans l’univers Madiran.

Être partie prenante de cette évolution qualitative et écologique, c’est un joli défi !

Claire Bortolussi du Château Viella représente cette jeune génération qui a toujours cru au tannat - crédit photo Yoann Palej
Claire Bortolussi du Château Viella représente cette jeune génération qui a toujours cru au tannat - crédit photo Yoann Palej

Chez les vignerons, on n’hésite plus à changer les codes, à se démarquer. A Viella, Bastien Lannusse a repris le flambeau familial au Château du Pouey en 2012 avec une ligne directrice assumée : J’ai choisi de mettre le tannat en avant dans son expression la plus subtile, montrer son potentiel sans utiliser de bois, mais en jouant la carte locale du cépage autochtone et de la valorisation de l’appellation, du terroir. Au Château Viella, on profite d’un panorama à couper le souffle sur les coteaux et les Pyrénées pour mettre en avant les attraits touristiques et patrimoniaux de la région (Il y a d’ailleurs un gîte avec cinq chambres sur place, un sentier pédestre, des ateliers cycle de la vigne). Les deux sœurs Bortolussi, Claire et Marion, allient méticulosité et équilibre pour livrer une partition sans fausse note et des vins soyeux, élégants. On a toujours cru au tannat, il a fallu le comprendre, l’appréhender, le dompter presque mais il est l’ossature de l’appellation, le fil conducteur confie Claire. Être partie prenante de cette évolution qualitative et écologique, c’est un joli défi. Aujourd’hui, près d’un tiers des exploitations (1200 ha en production sur les Pyrénées Atlantiques, les Hautes-Pyrénées et le Gers) sont certifiées HVE3 et une vingtaine sont en bio. Quid des on dit ? Personnellement, je pense qu’il faut tendre la main aux a priori et créer de la synergie pour avoir tous le même étendard et emmener les consommateurs sur le vrai chemin du Madiran. Une fois qu’ils auront goûté, ils auront compris !

Féminisation, rajeunissement, écologie, œnotourisme, profil des vins…

Jean-Marc Laffitte et sa fille Ericka, la transition s’opère au Château Laffitte-Teston - crédit photo Yoann Palej
Jean-Marc Laffitte et sa fille Ericka, la transition s’opère au Château Laffitte-Teston - crédit photo Yoann Palej

Au Domaine Sergent, qui a entamé sa conversion en 2021, Corinne et Brigitte Dousseau, arrivés dans les années 90, ont le recul nécessaire : Madiran se démarque de plus en plus par sa fraîcheur grâce à l’acidité du cépage car cela donne du peps aux vins tout en gardant un certain équilibre. Et les consommateurs actuels sont friands de ce genre de cuvées ! Tout au nord de l’appellation, le Château Laffitte-Teston est une institution, propriété familiale de 50 ha depuis huit générations. Après avoir largement développé le domaine, Jean-Marc Laffitte laisse peu à peu sa fille, Ericka, et son fils, Joris, prendre les rênes. On essaie de réconcilier les gens avec l’image du Madiran en proposant un vin élégant et qualitatif, explique la jeune vigneronne en contemplant le cirque de vignes et le lac qui entourent la magnifique demeure. La jeune génération a compris que la buvabilité était essentielle et qu’un peu de modernité ne ferait pas de mal pour attirer le consommateur. On a tous à y gagner ! En dix ans, le vignoble s’est fortement rajeuni avec un tiers des exploitations concernés par un processus de transition. Féminisation, écologie, œnotourisme, profil des vins, les ingrédients de la nouvelle réussite de Madiran sont là. Si vous passez par Madiran, la nouvelle Maison des Vins, inaugurée l’été dernier, devrait finir de vous convaincre avec 80 cuvées disponibles à l’achat. La caverne d’Ali Baba.

Les cuvées de Bastien Lannusse du Château de Pouey expriment tout le potentiel du tannat sans le bois - crédit photo Yoann Palej
Les cuvées de Bastien Lannusse du Château de Pouey expriment tout le potentiel du tannat sans le bois - crédit photo Yoann Palej

Toutlevin a aimé :

• L’Instant Madiran 2019 du Domaine Capmartin
• Argilo 2017 de la Cave de Crouseilles
• Prestige 2018 du Château de Viella
• Eucalyptus 2017 du Domaine Sergent
• Reflet du terroir 2017 du Château Laffitte-Teston
• Solis 2019 du Château de Pouey

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